galanteries parmi les fleurs





Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.


*


Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du Soleil.


*


Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques.


*


Pourquoi, l’heureuse enfant, veux-tu voir notre France
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance

Et, confiant ta vie aux bras forts des marins
Faire de grands adieux à tes chers tamarins 


*


Leur attitude au sage enseigne
Qu’il faut en ce monde qu’il craigne
Le tumulte et le mouvement ;

L’homme ivre d’une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment
D’avoir voulu changer de place.


*


Le Coucher du soleil romantique

Que le soleil est beau quand tout frais il se lève
Comme une explosion nous lançant son bonjour
— Bienheureux celui-là qui peut avec amour
Saluer son coucher plus glorieux qu’un rêve

Je me souviens !… J’ai vu tout, fleur, source, sillon
Se pâmer sous son œil comme un cœur qui palpite…
— Courons vers l’horizon, il est tard, courons vite
Pour attraper au moins un oblique rayon


*


Quand je te vois passer, ô ma chère indolente,
Au chant des instruments qui se brise au plafond
Suspendant ton allure harmonieuse et lente,
Et promenant l’ennui de ton regard profond...


*


Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain


*


La mer, la vaste mer, console nos labeurs
Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate
Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs


*


La musique souvent me prend comme une mer
Vers ma pâle étoile
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther
Je mets à la voile


*


Leurs feux sont ces pensers d’Amour, mêlés de Foi,
Qui pétillent au fond, voluptueux ou chastes.


*


Comment, amour incorruptible
T’exprimer avec vérité


*


M. Charles Baudelaire a fait don, sans réserve, de ces
poèmes, à un ami qui juge à propos de les publier, parce
qu’il se flatte de les goûter, et qu’il est à un âge où l’on
aime encore à faire partager ses sentiments à
des amis auxquels on prête ses vertus.

L’auteur sera avisé de cette publication en même
temps que les deux cents soixante lecteurs probables qui
figurent — à peu près, — pour son éditeur bénévole, le
public littéraire en France, depuis que les bêtes y ont
décidément usurpé la parole sur les hommes.

Charles Baudelaire, Les Épaves, 1866
Avertissement de l’éditeur


*



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